« Les enfants après eux“ de Nicolas Mathieu (2018)

par | Juin 7, 2020

 Un lieu : La ville d’Heillange (nom inventé mais on reconnaît de vrais noms comme Florange, Hayange) dans une région désindustrialisée de l‘est de la France. Quatre périodes : de 1992 à 1998. Trois jeunes, leurs copains et leurs familles : Anthony, Hacine, Steph. Les parents essayent de survivre et d’assurer l’avenir de leurs enfants qui, eux, n’ont qu’une idée : fuir ce monde-là à tout prix. Un lieu de vie monotone : « A force de parcourir le coin à pied, à vélo, en scoot, en bus, en bagnole, Steph connaissait la vallée par cœur. Tous les mômes étaient comme elle. Ici, la vie était une affaire de trajets. On allait au bahut, chez ses potes, en ville, à la plage, fumer un pet’ derrière la piscine, retrouver quelqu’un dans le petit parc. On rentrait, on repartait, pareil pour les adultes, le boulot, les courses, la nounou, la révision chez Midas, le ciné. Chaque désir induisait une distance, chaque plaisir nécessitait du carburant. A force on en venait à penser comme une carte routière ». En 1964, les sociologues Pierre Bourdieu et J.Claude Passeron avaient décrit dans un livre devenu culte, « Les héritiers », les déterminismes sociaux, les codes culturels à maîtriser pour atteindre la France d’en haut. Il est toujours aussi difficile aujourd’hui de faire marcher l’ascenseur social, un exemple dans le livre : Vanessa, une amie de Steph, a réussi à s’inscrire en fac de droit mais elle constate qu’elle est différente, comparée à ces « citadines pimpantes et délurées, en trench et mocassins avec leur sac Longchamp, ces meufs avec leurs connaissances des musées de Londres et d’Amsterdam et leur vocabulaire choisi ». De même Steph inscrite dans une classe préparatoire à Paris « faisait figure de plouc achevée » et un « prof lui avait conseillé de se débarrasser de son accent » Le vocabulaire des jeunes de Heillange reflète leur condition : Anthony s’entend dire par son cousin « Tu te pointes chez moi, tu bois mes bières, tu tapes ma coke gratos. Tu te crois où, sans déconner ? ». Nicolas Mathieu ne manque cependant ni de tendresse ni d’humour pour décrire la vie de ces jeunes, tous différents mais tous décidés à s’en sortir d’une manière ou d’une autre.

L’auteur, né en 1978, a grandi à Golbey, près d’Epinal dans une famille entre classe populaire et classe moyenne. De par sa famille et ses petits boulots, il connaît parfaitement les territoires de l’est de la France marqués par la désindustrialisation et les licenciements. Lui aussi, il a voulu fuir : »je me suis dit très tôt que l’écriture pourrait être un moyen de sortir de là où j’étais ». Après un bac littéraire et une licence d’histoire à Nancy, il a passé une maîtrise de cinéma à Metz et une licence d’histoire de l’art à la Sorbonne. « Dans ma famille personne n’avait pu me conseiller sur les meilleures filières pour trouver un emploi ». Alors il s’installe à Paris où sa vie est très précaire mais sans perdre de vue sa volonté d’écrire. Il publie son premier roman en 2014 « Aux animaux la guerre » adapté pour la télévision par Alain Tasma. Son deuxième roman « Leurs enfants après eux » obtient le prix Goncourt en 2018.

« Leurs enfants après eux », Actes Sud, 432 pages

«Wie später ihre Kinder « Aus dem Französischen von Lena Müller und André Hansen, Hanser Verlag.

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