« L’art de perdre » d’Alice Zeniter
1962: fin de la guerre d’Algérie (on disait „les événements » jusqu’en 1990). Et on en parle toujours …. L’actuel Président de la République, Emmanuel Macron, revient en 2018 sur deux épisodes sombres de cette histoire liée à la colonisation française en Algérie : le 13 septembre, il a reconnu « la responsabilité de l’Etat » dans la disparition de Maurice Audin ( jeune mathématicien communiste, enlevé en juin 1957 par des parachutistes français puis torturé et exécuté) et peu de temps après il a rendu hommage aux harkis (supplétifs de l’armée française en Algérie) et a exprimé le souhait d »’inscrire la mémoire des harkis dans le récit national ». Après la fin de la guerre, 90 000 personnes, combattants et leurs familles, avaient été accueillies en France dans des conditions plus que précaires tandis que près de 75 000 autres harkis avaient été abandonnés en Algérie aux sanglantes répressions de ceux qui les considéraient comme des traîtres…
1977 : La romancière Alice Zeniter, elle-même petite-fille de harkis, entreprend d’écrire l’histoire d’une famille de harkis de Kabylie, du grand-père Ali à la petite-fille Naïma. En 500 pages, elle déroule devant ses lecteurs un pan de l’histoire de l’Algérie française de 1830 à 1962 et leur fait découvrir le triste sort réservé en France aux familles de harkis. « On ne parle pas ici de gens qui ont fait un choix par amour pour la France mais qui ont fini par opter pour un camp presque inconsciemment » souligne Alice Zeniter. Du camp de Rivesaltes aux barres des HLM de Flers en passant par le camp de Jouques, Ali et sa famille essaient de reconstruire leur existence dans une France qui veut oublier les guerres passées (seconde guerre mondiale, Indochine et Algérie) (1). Petit à petit, 3 générations tracent leur route, dans le silence, l’oubli, la perte, seule la petite-fille Naïma ira découvrir la terre de ses ancêtres. Le titre du livre est tiré d’un poème de la romancière américaine Elisabeth Bishop (1911-1979) : « Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître /tant de choses semblent si pleines d’envie/d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre. ».
Un roman passionnant, dur mais non dénué de tendresse et d’humour, bien écrit et très actuel dans cette recherche de la transmission et de l’identité. « Une belle façon aussi d’analyser avec finesse les problèmes identitaires des enfants d’immigrés dans la société contemporaine » (2)
L’Art de perdre, Flammarion/Albin Michel, 2017. Prix Goncourt des lycéens.
(1) A lire : L’Art français de la guerre » d’Alexis Jenni, prix Goncourt 2011.
(2) Jérôme Dupuis, L’Express 16/08/2017
Auf deutsch :“ Die Kunst zu verlieren“ Erscheinungstermin: 01.02.2019. Berlin Verlag